Le Maroc doit installer prochainement un mécanisme national de prévention de la torture pour effectuer des visites dans les lieux de détention. C’est un organisme indépendant de toute autorité étatique au plan administratif, financier et de gestion ; le CNDH revendique le droit de le créer et de le gérer lui-même. La société civile revendique, elle, un mécanisme en dehors du CNDH, composé de personnalités indépendantes, crédibles et intègres.
Juste après la fin du deuxième Forum mondial des droits de l’homme réuni à Marrakech à la fin du moins de novembre dernier, et qui a vu éclater des divergences profondes entre le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et nombre d’ONG défendant les droits humains, voilà un nouveau bras de fer qui s’annonce encore plus chaud entre les deux parties. L’objet de cette discorde est maintenant le mécanisme qui devrait être créé pour la prévention de la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Fin novembre dernier, l’Etat marocain a en effet déposé ses instruments de ratification auprès de l’ONU du protocole facultatif se rapportant à la convention internationale contre la torture, lequel protocole prévoit dans son article 17 l’installation d’un Mécanisme national de prévention (MNP) de la torture dans un délai ne dépassant pas une année. C’est ce mécanisme qui est censé faire le suivi de l’application de cette convention et de son protocole.
Il aura même le droit d’effectuer des visites régulières et impromptues aux lieux de détention, l’un des moyens jugés selon l’Association de prévention de torture (APT) «les plus efficaces pour prévenir la torture et autres formes de mauvais traitements, dans le respect de la dignité humaine». L’APT, rappelons-le, est un organisme international qui aide les gouvernements, les systèmes judiciaires, les institutions des droits de l’homme et la société civile dans le monde entier à lutter contre la torture. Comment sera créé ce mécanisme ? Par décret ou par dahir ? De quels membres sera t-il composé ? Qui va s’en charger ? Qui va le financer ? Sur toutes ces questions, les points de vue du CNDH et de nombre d’associations des droits de l’homme sont loin d’être concordants. Avant d’exposer les uns et les autres, ce rappel des faits d’abord : c’est en 1993 que le Maroc a adhéré à la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais ce n’est qu’après dix ans, soit en février 2013, qu’il ratifie le protocole facultatif se rapportant à cette convention. C’est le trentième pays dans le monde et le seul pays arabe à l’avoir fait. Il a fallu en effet la création du CNDH en 2011 et son travail de sensibilisation, pour que le Parlement marocain finisse par voter ce protocole (publié au Bulletin officiel N° 6166 du 4 juillet de la même année 2013).
Ce mécanisme aura-t-il un pouvoir exécutif ? Rien n’est moins sûr…
Il faut dire que sur ce MNP, et avant même que le Maroc envoie ses émissaires pour déposer ses instruments de ratification du protocole facultatif complétant la Convention de lutte contre la torture, un débat est ouvert depuis déjà quelques années, aussi bien par le CNDH que par la société civile. Cette dernière s’est même créé un collectif composé d’une douzaine d’ONG (entre autres l’AMDH, la Ligue marocaine de défense des droits humains, le Forum vérité et justice, l’Association Adala…), et organisé des ateliers de réflexion dans l’objectif de faire des recommandations sur ce sujet. Et ce débat «a bien avancé», se félicite Mohamed Nachnach, président de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), membre de ce collectif.
D’ailleurs, une réunion de ce dernier est prévue ce 12 décembre pour rédiger son point de vue sur ce mécanisme et l’envoyer aux autorités compétentes. M. Nachnache et Abdelilah Benabdesslam, vice-président de l’AMDH, nous le résument de la façon suivante: «Le Mécanisme national de prévention devrait être une institution indépendante de toute autorité étatique, et même du CNDH, qui pourrait y être lui-même représenté par ailleurs. Il doit être composé de personnalités marocaines crédibles, indépendantes et intègres». Le CNDH n’est-il pas une institution indépendante de par même les principes de Paris? Il pourrait l’être, répond M. Nachnache, «mais de par ses statuts, il ne pourrait créer et héberger lui-même ce mécanisme, encore moins le mettre sous sa coupe. Sauf s’il veut modifier ses statuts, le cas échéant, il perdrait toute crédibilité. Le rôle de ce conseil est purement consultatif et non exécutif.
Il pourrait effectuer des visites des lieux de détention et rédiger des rapports thématiques, faire des recommandations, mais il ne pourra pas prendre des décisions si jamais il y a constatation de torture et mauvais traitements dans les centres de détention». Vraiment, ce MNP aura-t-il un pouvoir exécutif et non pas seulement, comme celui du CNDH, un pouvoir de consultation et de proposition? Rien n’est moins sûr. Et le protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, le dit lui-même. Dans son article 20, il stipule que les mécanismes nationaux de prévention sont investis de trois attributions : primo, examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté se trouvant dans les lieux de détention, en vue de renforcer, le cas échéant, leur protection contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Secundo : formuler des recommandations à l’intention des autorités compétentes afin d’améliorer le traitement et la situation des personnes privées de liberté et de prévenir la torture, compte tenu des normes pertinentes de l’Organisation des Nations Unies. Tertio : présenter des propositions et des observations au sujet de la législation en vigueur ou des projets de loi en la matière. Il n’est nulle part fait allusion dans ce texte d’un quelconque pouvoir exécutif.
Néanmoins, il est toujours possible, comme cela se fait partout dans les pays ayant ratifié le protocole facultatif, et comme le souhaite ce collectif d’ONG, de créer un Mécanisme indépendant de l’institution nationale chargée de la promotion des droits de l’homme, qui est le CNDH au Maroc.
Que dit le gouvernement sur ce sujet ? Il semble que la question n’est pas encore tranchée. Mustapha Ramid, ministre de la justice et des libertés, lors des questions orales à la Chambre des représentants du mardi 3 décembre, ne sait lui-même pas encore : «Ce nouveau mécanisme, a-t-il affirmé, sera soumis soit au CNDH, soit à une commission indépendante au plan administratif et financier».
Le CNDH candidat potentiel
Que dit le CNDH ? Il penche plutôt vers la première alternative. A son actif il y a déjà une étude sur le sujet, bien exhaustive, où le conseil se considère «parmi les candidats potentiels susceptibles de jouer le rôle de mécanisme national de prévention» (Voir questions à M. Essabbar). La loi créant le CNDH l’a en effet prévu dans son article 10, mais seulement en tant que contributeur «à la mise en œuvre des mécanismes prévus par les Conventions internationales relatives au droit de l’homme et les protocoles additionnels ou facultatifs que le Royaume ratifie ou auxquels il adhère».
Certes, ce conseil a suffisamment d’expérience pour chapeauter un tel MNP, mais il n’est pas souhaitable, comme l’espère le collectif d’ONG contre la torture, que cette «institution nationale dédiée aux droits de l’homme d’une façon générale soit directement impliquée dans sa gestion, son agenda de travail et son financement». En tout cas, dans l’étude comparative du CNDH sus-évoquée, ce MNP, doit être établi en vertu d’un texte constitutionnel ou législatif. C’est ce dernier qui devra fixer le processus de nomination des membres, la fonction, le mandat, les pouvoirs et les responsabilités du mécanisme, le mode de financement, les immunités et privilèges. Il souhaite même que ce MNP soit constitutionnalisé.
«Une base constitutionnelle devrait être privilégiée à un seul ancrage législatif pour accroître la pérennité du mécanisme», préconise cette étude (voir encadré). Maintenant une question importante se pose: comment ce MNP pourra-t-il contrôler ce qui se passe dans les commissariats pour savoir s’il y a ou non torture et traitements inhumains et dégradants ?
Au fait, le protocole facultatif se rapportant à la Convention internationale contre la torture ne se limite pas aux seules prisons, mais il étend le contrôle de ce mécanisme à tout lieu où il y a «placement d’une personne dans un établissement public ou privé de surveillance dont elle n’est pas autorisée à sortir de son gré, ordonné par une autorité judiciaire ou administrative ou toute autre autorité publique».
Autrement dit, les hôpitaux psychiatriques et les entres de sauvegarde pour les enfants, pour ne parler que de ceux-là, sont aussi concernés. Faut-il installer des caméras dans tous ces lieux pour savoir s’il y a ou non torture ? Ou faudra-t-il se contenter de simples visites et de collecte de témoignages ? Une chose est sûre, plusieurs pays ayant installé ce MNP ont été obligés de les installer dans leurs prisons et salles d’interrogatoire. Par expérience, ce système a permis dans ces pays une diminution de 80% des cas de torture.
Le Maroc le fera-t-il aussi? Il n’est pas impossible si l’ont en croit les déclarations de Driss El Yazami, président du CNDH. Mais signalons que d’ores et déjà l’une des mesures phare prévues dans le code de la procédure pénale préparée par le gouvernement concerne les enregistrements audiovisuels des interrogatoires des suspects et des accusés. Le prochain MNP aura-t-il accès à tout cela au même titre que les tribunaux? Il faudra attendre d’abord sa mise en place pour le savoir.
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